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129 ! L’histoire de l’homme sur la photo
vendredi 18 décembre 2015, par
« Aucune poursuite judiciaire » écrit la presse. L’image de Hassan [1] menotté dans le dos a pourtant depuis été largement reprise par les médias français et étrangers pour illustrer « les perquisitions dans les milieux islamistes ». Derrière cette formule laconique se cache une injustice violente.
Deux jours après les attentats, quartier du Mirail, à Toulouse. En pleine nuit, explosion de la porte au domicile de Hassan, qui vit là avec ses enfants de 3, 4 et 7 ans. Des habitants de l’immeuble ont témoigné du bruit de l’explosion de la porte, impressionnant. Hassan se précipite à la porte, sans même avoir le temps de s’habiller. Il est immédiatement plaqué au sol, menotté dans le dos et maintenu au sol. Au moment où nous recueillons le témoignage de Hassan, une semaine après la perquisition, il garde encore des traces des coups reçus. De nombreux coups de pieds, « des deux côtés ». « Chaque nouveau policier qui entrait dans l’appartement » participait à ce rouage de coups. « J’avais même une trace de semelle de chaussures » nous dit Hassan en désignant sa poitrine. « 129, en me frappant ils disaient 129, pour 129 morts », du nombre des victimes des attentats à Paris. Un policier hurlait « j’vais te tirer dessus ! ». Les enfants assistent à cela : l’un est caché sous une couette, l’autre pleure. Perturbés par ce qu’ils ont vécu, « ils ont dû voir une psychologue à l’école ».
Car Hassan est, comme de nombreux perquisitionnés, ciblé sur des critères racistes. Ce papa s’occupe seul de ses trois jeunes enfants : il mène une vie simple et fréquente peu de gens dans le quartier. La police ne le connaît pas, veut s’informer sur lui. C’est l’Etat d’urgence, tout modif recevable d’un point de vue judiciaire est facultatif. Il s’agit autant de faire du renseignement que d’envoyer un signal fort.
La présence des enfants ne modère pas les policiers : ils veulent montrer qu’ils sont chez eux chez Hassan.
Sous prétexte de chercher des armes, les policiers vont en réalité saccager l’appartement : les étagères sont vidées, le cadre du lit cassé… Une TV de prix est hors service parce qu’elle a pris 7 impacts. « Quel besoin de casser le lit ? De casser la télé ? » Juste la latitude laissée aux forces « de l’ordre » de se défouler. Montrer qu’ils sont chez eux. Qu’ils ont des droits sur Hassan, qu’il va payer pour les attentats avec lesquels il n’a rien à voir.
Hassan a ressenti la rage des policiers : « ils viennent chez quelqu’un, ils voient que c’est beau, et ils cassent sans raison ». Un chien a été lâché dans l’appartement, à la recherche de drogue et d’armes, en appui à la brigade des stups dans la maison.
L’intention de rabaisser est manifeste : pendant une grande partie de la perquisition, ils ont refusé que Hassan puisse au moins mettre un sous-vêtement, alors qu’il l’a demandé à plusieurs reprises. Ils l’ont laissé s’habiller seulement pour aller faire la mise en scène en bas de l’immeuble.
Une séance photo
Une fois la perquisition terminée, les policiers ont emmené Hassan en bas de l’immeuble. Il y avait là une clio blanche de la Dépêche du Midi, dont est descendu un homme habillé de noir et cagoulé, équipé d’un appareil photo. Ils ont organisé une séance photo avec Hassan menotté [2], pendant 20 minutes, sous les fenêtres de ses voisins. Des projecteurs éclairaient la façade de l’immeuble. Hassan a eu l’impression d’être choisi sur des critères physiques pour cette mise en scène : il est Arabe, grand, sportif, porte la barbe. Une fois le spectacle terminée, les policiers sont remontés avec Hassan dans son appartement puis sont partis, dix minutes plus tard. Aucune charge n’est retenue contre lui, il n’a pas été amené en garde à vue. En insistant, un papier lui a été montré : selon les policiers c’est un ordre de la préfecture pour la perquisition. L’opération donne surtout l’impression d’avoir servi à produire l’image d’un monstre pour les médias. Dans une vidéo de La Dépêche filmée lors de la perquisition, « les policiers posaient tout fiers avec leurs mitraillettes en bas de l’immeuble ».
Malgré les bleus, les éraflures et la machoire gonflée, Hassan ne s’est pas fait examiner par un médecin. on a senti la nécessité de tourner vite la page. Ce n’est qu’un mois après la perquisition qu’il a réussi à redormir tranquillement. Sa fille de 7 ans prend peur à chaque fois qu’elle voit des hommes habillés en bleu « elle a peur qu’ils reviennent ». « Je ne peux plus faire confiance à l’état ».
« J’avais du respect pour la police ! »
Une fois le RAID parti que reste-il : la crainte de voir le regard des gens autour changer, la rage d’avoir été agressé, le besoin que son innocence soit reconnue. « A quoi bon poursuivre, c’est l’Etat et ils ont tous les droits », lui a répondu son avocate. « Puisqu’ils n’ont rien trouvé, je voudrais des excuses du chef du RAID. »
« J’avais du respect pour la police ! Le RAID, c’est censé être le « summum » de la police : ils sauvent des vies. Mais des gens qui viennent, qui battent, qui cassent gratuitement, c’est des racailles ! »
Il craint aussi que parler de ça entâche ses chances de trouver un emploi dans son métier. Après la publication de sa photo dans la Dépêche, Hassan a été reconnu dans tout le quartier. « Le lendemain, le buraliste m’a regardé bizzarement quand je suis allé acheter le journal avec ma photo en Une... » « Pour les autres perquisitions qui ont eu lieu après, ils ont remis ma photo ! » Depuis, à la demande de son père, âgé, il a taillé sa barbe. Des voisins sont tout de même venus pour lui témoigner leur sympathie. Hassan n’ose plus aller à la mosquée, de peur « qu’ils reviennent ».
Quand deux jours après, il a de nouveau entendu une explosion dans l’immeuble, il a vu 19 véhicules présents devant le bâtiment, avec des policiers mitraillette à la main. Cela est corroboré par des témoignages de voisins.
Ce qui nous a marqué dans ce témoignage, c’est l’intention manifeste de dominer. BRI, GIPN, RAID sont venus pour casser, dominer. Hassan est un défouloir pour ces policiers à la recherche d’un bouc émissaire.
La collusion entre pratiques journalistiques douteuses et Préfecture est à dénoncer. L’image de Hassan, menotté, apparaît d’abord en illustration d’un article sur une perquisition administrative débouchant sur une saisie de 1.5Kg de cannabis. Cela est fait pour induire que Hassan est l’auteur, ce qui est une façon de nuire.
Cette même photo, est abondament utilisée sur des sites d’information plus ou moins sérieux. « Elle sort quand on fait la requête « attentats » ou « islam radical » sur Google » déplore Hassan. Au moment où nous avons recueilli son témoignage, il n’envisageait toutefois pas porter plainte, persuadé que ça ne servirait à rien et désireux de se faire oublier. Cette photo a été reprise par de nombreux médias, y compris à l’étranger.
[1] Son nom a été modifié.
[2] Au total, Hassan a gardé les menottes pendant une heure, sans qu’absolument rien ne le justifie.