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Rencontre avec une famille perquisitionnée près de Portet-sur-Garonne

jeudi 11 février 2016, par Observatoire de l’état d’urgence à Toulouse

Dans la nuit du 26 au 27 novembre, à 4h30 du matin, des policiers rentrent dans la maison de cette famille qui réside près de Portet-sur-Garonne. Le portail et la porte d’entrée ne sont jamais fermés et quatorze individus portant uniformes et cagoules investissent donc très rapidement la maison, et menottent directement un des fils de la famille, âgé de 19 ans, qui s’était endormi sur le canapé, devant la télévision. Puis ils se rendent dans chacune des chambres, celle des parents et de leur fille, Inès, âgée de 15 ans, les obligeant à s’allonger au sol en braquant leurs armes sur eux. L’ensemble de la famille est ensuite emmenée dans le salon, rejoignant le plus jeune fils. Ils apprendront par la suite que les policiers perquisitionnent dans le même temps l’appartement attenant à la maison où vit un autre fils de la famille et sa femme, enceinte, qui a aussi été mise en joue par les fonctionnaires et qui reste encore aujourd’hui très choquée. Le père de famille indique qu’en plus des services de police, des gendarmes et un maître chien en treillis militaire ont mené la perquisition. Pendant l’invasion de leur logement, une quinzaine d’autres policiers fouille le jardin.

Le père de famille demande à s’adresser directement à un responsable. Ce dernier lui remet un document de la préfecture, précisant le motif suivant pour justifier la perquisition :

« Considérant qu’il existe des raisons sérieuses de penser que l’habitation située au [adresse de la famille] est fréquentée par une ou des personnes dont le comportement constitue une menace pour l’ordre et la sécurité publique, et abrite des trafics, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste ».

La motivation de la perquisition est vécue aujourd’hui encore par le père de la famille, Kader, comme une insulte, le ton affirmatif de la formulation l’accusant clairement d’abriter des personnes et des objets liés à des actes terroristes. La famille remarque pourtant que les policiers et militaires semblent plutôt prendre les choses à la légère : plusieurs enlèvent assez vite leurs cagoule, certains s’asseyent sur les chaises du bar qui sépare la cuisine du salon, Inès entend les policiers qui discutent tranquillement en se donnant des nouvelles de leur famille, comme si l’invasion du logement de la famille était la plus banale des choses. « Il y en a un qui remettait sa cagoule dans mon miroir », « il y en a même un qui jouait avec la petite ».

Kader leur fait remarquer qu’ils prennent leur boulot plutôt à la légère et leur indique notamment la trappe qui donne au grenier de la maison. Mais les hommes en uniforme ne semblent pas tellement intéressés par l’information, ils vont quand même y jeter un oeil. De retour des combles, un des policiers tend une photo retrouvée à Fatima, la mère : « il était mignon votre fils quand il était petit »... Quand Kader leur indique que la famille dispose aussi de deux autres maisons dans le jardin (en voulant parler des abris de jardin), un policier lui répond, narquois, qu’ils semblent bien avoir les moyens pour se payer deux maisons. De même, un fonctionnaire lance à Fatima, « ça coûte cher ça, hein ? » en désignant l’ordinateur familial qui se trouve dans le salon, sur un ton plein de sous-entendus, ce à quoi Fatimata répond qu’elle et son mari travaillent tous les deux, et que c’est tout à fait normal, que c’est un ordinateur d’occasion et qu’en plus elle s’est fait avoir !

Inès a été fortement marquée par la perquisition. « La veille de la perquisition, j’avais justement lu un témoignage d’une personne perquisitionnée ». Elle qui porte un voile long (Jilbab) par choix personnel, s’est sentie envahie dans son intimité lorsque qu’elle a été confrontée en pyjama aux policiers qui ne l’ont pas laissé se couvrir. « J’étais dans un sommeil profond, j’ai cru que c’était un cauchemar... » « Mais non, pas à nous ce n’est pas possible, pas à nous... ils nous font peur, on est chez nous, si on n’est pas en sécurité chez nous.. » Elle explique qu’avant de l’emmener quitter la chambre, elle a vu les policiers commencer à fouiller sa chambre et notamment les livres de la bibliothèque. Depuis, afin de se réapproprier la pièce , elle a changé la disposition des meubles. Pour Inès, cela vient s’ajouter à la stigmatisation dont elle peut faire l’objet au lycée : si elle enlève son voile avant d’entrer dans l’établissement, ça n’a pas empêché le CPE et le proviseur de la convoquer parce que, selon eux, elle portait des tenues trop amples, alors qu’elle estime s’habiller "normalement" : « tu comprends, on est en plan vigipirate écarlate et on ne voit pas ce que tu as dessous ». Elle comprend surtout qu’elle est la seule à avoir été convoquée pour ce motif, même si d’autres élèves portent des vêtements amples. Elle qui n’a pas envie d’exhiber son corps remarque aussi que les filles en mini-shorts et "crop tops" qui montrent leur ventre ne sont pas inquiétée par l’établissement.

Quand la mère de Fatima, en Algérie, a entendu parler de l’état d’urgence et des perquisitions, elle lui a rappelé qu’elle avait vécu ça pendant la guerre d’Algérie et lui a dit que si ça leur arrivait, « il faut laisser les policiers français faire, rester tranquille, ils finissent par partir ». Fatima n’a pas osé leur dire qu’elle avait été perquisitionnée. Mais elle a eu très peur et a cru que cette bande d’hommes cagoulés et armés étaient des terroristes. Ayant vécu la violence du terrorisme des années 90 en Algérie, elle est d’autant plus choquée que sa famille puisse être aujourd’hui suspectée de terrorisme.

« On ne rentre pas chez les gens comme ça, non, humilier les gens à 4h du matin.. avant il faut faire une enquête, on ne rentre pas chez les gens comme ça, ce n’est pas normal !... Maintenant on ne croit plus à ce qu’ils racontent à la télé » Fatima

Maigre soulagement : la perquisition ayant eu lieu à 4h du matin, les voisins n’ont pas remarqué qu’elle avait eu lieu. Depuis, la famille tente de mener des recours contre cette perquisition et cherche à faire reconnaître que l’accusation grave utilisée pour justifier la perquisition est infondée.

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